La crise sanitaire, dans son étroite intrication avec la crise environnementale, est venue bouleverser un mode de vie occidental inégalitaire et fondé sur une consommation affranchie des limites planétaires. La pandémie a confirmé l’impérieuse nécessité de repenser nos modèles de société, elle a rendu très concrètes nos interdépendances planétaires. Les confinements nous ont fait expérimenter au quotidien, souvent par le manque, des dimensions du bien-vivre effacées des indicateurs traditionnels : la convivialité et le lien aux autres, la liberté d’aller et venir, la santé évidemment, le service public et le service entre êtres humains…

 

Dérèglements climatiques, déséquilibres écologiques, inégalités sociales et de revenu….

Répondre à un seul symptôme des crises en cours ne suffit pas. Fiona Ottaviani [1]

 

L’enjeu aujourd’hui est d’accompagner une transformation radicale de l’organisation socio-économique pour assurer le passage d’un paradigme de la croissance infinie à un paradigme du prendre soin. Dans ce dernier paradigme, l’économie assurerait la soutenabilité des conditions immatérielles et matérielles (biophysiques et socio-institutionnelles) au service de la reproduction de la vie.

Il est urgent de faire un pas de plus dans la réflexion sur un changement de paradigme en faveur du bien vivre.

 

C’est ce que nous proposons d’approfondir dans le cadre de la deuxième édition du Forum International pour le Bien vivre (Grenoble, 29 juin – 1er Juillet 2022). Le forum sera focalisé sur le bien-vivre écologiquement soutenable. Avec une problématique qui servira de fil conducteur : tenir ensemble l’enjeu social et l’enjeu environnemental.

 

Nous avons identifié 3 défis majeurs que nous situons dans l’image du Donut de l’image proposée par Kate Raworth

A partir de cette image, Kate Raworth introduit les notions de plancher social et plafond environnemental, qu’elle définit comme « les deux bornes indépassables de nos systèmes politiques et économiques.[..] C’est entre ces limites sociales et planétaires que se trouve un espace juste et sûr pour l’humanité, pour assurer les besoins et des droits de tous dans les moyens de notre planète » [2]

 

[1] Fiona Ottaviani. Penser l’entre. Envie de Changer, n°4, p. 7

[2] Kate Raworth, « Un espace sûr et juste pour l’humanité », Revue projet n°356, Janvier 2017

 

Le défi d’une société “riche pour tout le monde et riche de tout son monde”: lutter contre les inégalités et construire un “plancher social”

“Le bien vivre est lié à la capacité de se retrouver ensemble, dans une société sans pauvreté, riche pour tout le monde et riche de tout son monde .”  Vivian Labrie [1]

Un monde écologiquement soutenable n’aurait pas de sens s’il est réservé à une minorité. L’expérience des gilets jaunes en France a révélé notre grande difficulté à concilier “fin du monde et fin du mois”. Or, ce sont les plus précaires qui subissent le plus fortement l’impact des dérèglements environnementaux : exposition aux risques, inégalité d’accès aux services et ressources nécessaires aux changements de mode de vie et donc inégalités de santé. Et ce sont aussi eux qui sont les plus éloignés des lieux d’influence et de pouvoir et donc des lieux où se fabriquent les politiques dites “de transition”. Cette très forte interdépendance entre questions sociales et environnementales est encore trop souvent invisible voire impensée, ce qui pose une série de questions :

  • Comment rendre visible la manière dont les enjeux environnementaux impactent, accentuent ou transforment les inégalités (sociales, de genre, Nord/sud …) ?

 

On ne subit pas les effets de la crise environnementale de la même manière, selon la classe sociale, le genre ou la minorité ethno-raciale à laquelle on appartient. Or le discours écologique dominant décrit souvent la question écologique comme étant vécue uniformément par la population mondiale. La notion d’« inégalités écologiques » permet de montrer que les différentes catégories de population ne sont pas égales face au changement climatique par exemple. Ramzig Keucheian [2]

  • Comment rendre compatibles des objectifs trop souvent pensés comme antagonistes ?

 

Quand la survie des peuples les plus pauvres dépend de leur milieu, la lutte pour la vie rejoint celle pour la biodiversitéJoan Martinez Allier [3]

  • Comment prendre en compte et dépasser ces inégalités dans les réponses aux défis environnementaux, à l’échelle locale comme à l’échelle mondiale ? Quelles sont les synergies déjà existantes ?

  • Comment tenir le cap d’une transition écologique qui ne laisse personne au bord de la route ?

 

C’est la problématique posée par le Conseil scientifique de Grenoble Capitale Verte de l’Europe 2022 :
Le changement climatique affecte de manière différente les différentes régions de la planète et les populations qui y vivent. Élévation des températures et modifications du cycle hydrologique dessinent une carte de vulnérabilités sur laquelle les populations les plus exposées ne sont pas celles qui ont la plus lourde responsabilité dans le dérèglement climatique. De nouvelles problématiques juridiques émergent de ces vulnérabilités différenciées, que ce soit au niveau de la protection des individus ou de la responsabilité à faire porter aux entreprises et aux Etats. Faire appel au juge est-il la solution la plus efficace pour faire progresser la justice climatique ?

 

 

[1] Vivian Labrie, chercheure autonome, Québec, In 1er Forum International pour le Bien vivre, Retour en mots et en images

[2]  Ramzig Keucheian, in Basta, Écologie des pauvres, écologie des riches : quand les inégalités sont aussi environnementales, juin 2014

[3] Voir par exemple Jean Monestier, Quand la lutte des peuples pauvres rejoint l’écologie, Reporterre, mai 2015

Le défi du changement de modèle : réduire notre empreinte et préserver les limites planétaires grâce à un “plafond environnemental”

Les modélisations existantes sur la neutralité carbone ou la préservation de la biodiversité, deux piliers indispensables à la survie de l’humanité sur la planète, montrent la nécessité d’un changement radical des modes de consommation et de production. Or, côté consommation, dans les sociétés occidentales ce changement est associé à des renoncements, à la fin d’un “bien-être” fondé sur la prospérité et l’espérance d’une vie toujours plus facile génération après génération. Et côté production, la remise en cause de notre modèle de développement inquiète, autant à cause des risques qu’il génère pour un certain nombre d’emplois, qu’à cause de notre grande difficulté à imaginer un modèle moins gourmand en énergie et en ressources.

  • Comment étayer et diffuser le constat de l’incompatibilité entre notre modèle de développement et le respect du vivant ? Comment le raconter pour embarquer le plus grand nombre, décrypter les impasses du système, et démultiplier les capacités de chacun à contribuer librement au changement?

 

  • Comment sortir de nos habitudes, nos sentiers de dépendance? Concrètement, à l’échelle individuelle, comment réconcilier sobriété et bien-être ? A l’échelle politique et économique, comment faire sauter les verrous de notre système et accompagner la transition vers un système plus circulaire, sobre et inclusif?

 

  • Comment trouver la bonne échelle d’intervention, entre local et global ? Entre l’individu, les collectifs et l’ensemble de la société?

 

 

Le défi politique et démocratique : tenir le cap du bien-vivre

Le passage à l’action semble chaque jour plus pressant face à l’urgence climatique. Pourtant, le temps plus lent et plus long de la discussion, de l’appropriation, reste nécessaire. Ce paradoxe, cette tension entre parole et actes, entre urgence et décantation fait émerger l’impérieuse nécessité du politique. Elle impose de trouver la juste place des acteurs, des citoyens, du débat public.

La réflexion sur de nouveaux indicateurs, plus ajustés à ce “cap bien-vivre” révèle la nécessité d’une nouvelle convention, un accord entre tous.

 

  • Comment repenser ce qui fait bien commun, notamment via le débat public? Comment construire un  “nouveau contrat social”, une “convention du bien-vivre” qui repense la relation à soi, aux autres et au monde? Comment faire en sorte que l’engagement des différentes parties prenantes soit possible, réel et solide (acteurs publics, entreprises, citoyens…) ? Comment s’appuyer sur des seuils et indicateurs     choisis et acceptés collectivement en croisant les expertises ?

 

  • Comment intégrer cette boussole du bien-vivre dans les lieux et les moments de décision, afin de soutenir des décisions politiques, économiques ou de choix de vie en période de transition ?

 

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Le cap du bien vivre