La critique du PIB – indicateur économique majeur – existe depuis les années 70. Des indicateurs alternatifs ont été créés par des acteurs engagés et des institutions diverses. D’autres courants de pensée posent des questions clé et un autre regard sur les enjeux et les défis à relever pour changer de cap.

Ils sont source d’inspiration pour l’action.

Cette page propose des textes et documents pour celles et ceux qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur ces différents courants.

Rompre avec la croissance économique : les courants de la décroissance et la bioéconomie

La version moderne des théories de la décroissance s’appuie sur les travaux de l’économiste Nicholas Georgescu-Roegen, dans son essai The Entropy Law and the Economic Process, dans les années 1970. Cet auteur stipule qu’une croissance économique matérielle infinie est impossible dans une Terre limitée, puisque la reproduction et la complexification de la vie se font sur une échelle de temps qui n’a rien de commun avec le temps de la décision humaine.

« L’activité économique de n’importe quelle génération n’est pas sans influer sur celle des générations à venir : les ressources terrestres en énergie et en matériaux sont irrévocablement dégradées et les effets nocifs de la pollution sur l’environnement s’accumulent. Par conséquent l’un des principaux problèmes écologiques posé à l’humanité est celui des rapports entre la qualité de la vie d’une génération à l’autre et plus particulièrement celui de la répartition de la dot de l’humanité entre toutes les générations. La science économique ne peut même pas songer à traiter ce problème. Son objet comme cela a souvent été expliqué, est l’administration des ressources rares ; mais, pour être plus exact, nous devrions ajouter que cette administration ne concerne qu’une seule génération. Il ne saurait en être autrement. » Nicholas Georgescu-Roegen [1]

Ces idées seront reprises par les écologistes et participent à l’indicateur « Empreinte écologique ». Cet indicateur mesure la quantité de surface terrestre nécessaire pour produire les biens et services que nous consommons et absorber les déchets que nous produisons. C’est une mesure de la pression qu’exerce l’Homme sur la nature. On voit alors qu’il faudrait 5 planètes pour que tout le monde puisse vivre selon le mode de consommation des pays développés du Nord.

La théorie de la décroissance, concept économique, social et politique, reprend différentes sources de pensée (écologiste, bioéconomiste, anthropologique, démocratique et spirituelle) et remet en cause l’idée du lien entre richesses matérielles et bien-être de la société. Il s’agit de réduire la consommation et la production de biens et de services pour préserver l’environnement. Certains auteurs, comme Serge Latouche, vont jusqu’à la remise en cause des notions de développement et de progrès, ou du lien souvent proposé entre croissance et développement, et donc questionnent ou rejettent la notion de développement durable ou soutenable. Cette approche revient sur le devant de la scène en 2002.

« Si l’on se place du point de vue de la vie sociale et non de la comptabilité économique, la décroissance – décrue durable de la croissance – ne sera pas grave. Une vie où chacun sera émancipé de la course permanente à l’innovation, où chacun pourra préférer les dimensions du commun, de la coopération, de la convivialité, de la sérénité plutôt que de fétichiser l’individualisme, la concurrence, la rivalité, l’agitation…
La décroissance sera certes une « récession », durable, mais elle ne sera pas une « dépression » si elle réussit à s’émanciper du tout-économique. Et, pour cela, elle devra être démocratique et choisie. Là où la croissance est sans limites, la décroissance n’est pas, elle, une décroissance vers le zéro. La décrue des extractions, des productions, des consommations, des déchets – dans le cadre retrouvé d’une empreinte écologique juste et responsable – n’est pas une fin en soi. » Michel Lepesant [2]

 

 

[1] Nicholas Georgescu-Roegen, in La décroissance, Entropie – Écologie – Économie, 1979.

[2] Michel Lepesant, in « La décroissance sera certes une récession, mais elle ne sera pas une dépression », Le Monde, tribune du 24 septembre 2021

Réencastrer l'économie, le social dans le système écologique : l'ecological economics

Les mutations climatiques sont les conséquences – à condition de vouloir les voir – auxquelles nous assistons impuissants, d’un système de production devenu un système de destruction. La question dès lors est : existe-t-il une économie capable de prendre en considération les conditions d’habitabilité de la planète terre ?

L’Ecological Economics s’appuie sur l’analyse et l’étude de l’interdépendance et l’évolution conjointe des sociétés humaines et des écosystèmes en prenant en compte le temps et l’espace. Elle s’appuie sur les travaux de la bio-économie développés par Georgescu-Roegen.

Elle existe depuis 1989 au sein de l’International Society for Ecological Economics. [1]

Cette approche se veut différente de l’économie environnementale. Pour ceux qui la portent, il est important de s’intéresser aux différents types de capitaux (naturel, humain, social et culturel) avec, comme objectif, le développement durable, la distribution juste et efficace des ressources et d’appréhender leur interconnexion sans donner de priorité, ce qui renouvelle, selon les auteurs la notion de développement durable.

Cet objectif signifie protection de la nature mais également justice sociale et intergénérationnelle, reconnaissance du capital humain et naturel pour la construction du bien-être humain. Elle développe également l’importance du secteur des communs pour permettre une utilisation des ressources qui respecte les capacités de régénérescence. Cette démarche s’impose car selon les auteurs on est passé d’une économie d’un monde vide à une économie d’un monde saturé.

Cette vision se traduit par des recommandations politiques sur la place des investissements, la gestion urbaine, le rôle de l’Etat et la réforme fiscale.

[1] l’International Society for Ecological Economics publie la revue Ecological Economics éditée par Elsevier.
https://www.isecoeco.org/

Pour approfondir

Costanza R.  What is Ecological Economics ?, Ecological Economics1 (1989)

Costanza R., Alperovits G., Daly H.E., Farley J., Fra    Franco C., Jackson T., Kubiszewski I., Schor J., and Victor O.  Building a sustainable and desirable economy in society in nature, New York, United nations division for sustainable development, 2012.

Evrard Aurélien, Contre vents et marées. Politique des énergies renouvelables en Europe. Paris, Presses de sciences po, 2013.

Newell Peter, Paterson Matthew Climat et capitalisme. Réchauffement climatique et transformation de l’économie mondiale, Bruxelles, Planète enjeu, Ed. de Boeck, 2011.

Ottaviani F., Le Roy A., O’Sullivan P.  Constructing Non-monetary Social Indicators: An Analysis of the Effects of Interpretive Communities, Ecological Economics 183 (2021)

 

Changer de cosmovision : le buen vivir

La notion de buen vivir a été très clairement décrite par Pablo Solon :

Le buen vivir est un appel à redéfinir ce que nous entendons par « bien-être » et par « bonheur ». […] La communauté est essentielle pour le buen vivir, mais elle inclut à la fois l’humain et le non humain, le matériel et le spirituel. Cette dualité est partout présente. […] Plus que de chercher le bonheur, le buen vivir vise l’équilibre. Un équilibre dynamique, jamais acquis et générant sans cesse de nouvelles tensions et de nouveaux processus de rééquilibrage. Pablo Solon, 2018, Revue Projet n° 362

Le Buen vivir a été intégré dans les constitution de l’Équateur en 2008 et la Bolivie en 2009.

 

 

« Bien vivre », une proposition de modèle de gouvernement en Bolivie.
Un entretien en espagnol avec David Choquehuanca, ministre des Affaires étrangères de la Bolivie de 2006 à 2017

 

Le « bien vivre, une opportunité à constuire ».
Un texte en espagnol de Alberto Acosta, universitaire, qui a été président de l’Assemblée Constituante équatorienne de 2007 à mi 2008

Changer de cosmovision : l'ubuntu

Humanité, générosité, interdépendance…. Ce terme, qui existe dans presque toutes les langues bantoues d’afrique, a été popularisé par Mgr. Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix en 1984, et Nelson Mandela, président d’Afrique du Sud de 1994 à 1999, dans une visée de réconciliation nationale.

En français, Ubuntu est souvent traduit par « je suis parce que nous sommes ».

Mgr Desmond Tutu

Nelson Mandela

« Nous ne pouvons être humains qu’ensemble. Nous ne pouvons être libres qu’ensemble ». Mrg Desmond Tutu

Il nous faut introduire ici une notion importante que sous-tend la forme d’articulation entre personne et communauté contenu dans le concept « Ubuntu ». Il s’agit de la notion « d’interdépendance ». Jean-Paul SGADOU

Changer d'anthropologie économique pour une économie au service du bien commun : le courant de la paix économique

La Paix économique est un courant de pensée développé au sein de l’École de Management de Grenoble au sein de la Chaire « Paix économique, mindfulness et bien-être au travail » [1]

Elle constitue une alternative à la « guerre économique », c’est-à-dire à un mode de fonctionnement des affaires basé sur l’hyper-compétition, l’individualisme exacerbé et la recherche unique du profit.

Les auteurs se proposent de repenser les fondements de l’anthropologie économique. A cet égard, le rôle des activités économiques serait de contribuer au bien commun en renforçant le tissu social. Elle amène à réviser fondamentalement la conception de ce qu’est la performance et le profit.

Fiona Ottaviani : Réinterroger les fondamentaux de l’économie et desserrer l’évidence du discours économique

Alors que l’économie est aujourd’hui productrice de beaucoup de violences, peu de travaux lient une réflexion sur la paix et l’économie. Dans la recherche sur la paix, l’économie est souvent envisagée comme un moyen de la paix et non comme une cause de la guerre. Pourtant, la guerre économique pollue nos pratiques et nos imaginaires, et nous empêche de concevoir un autre horizon économique. Et si l’on arrêtait de vouloir nous forcer à croire dans les chimères de la déesse économie pour concevoir, chemin faisant, une économie profane ? Fiona Ottaviani et Dominique Steiler [2]

Pour approfondir :

Fiona Ottaviani et Dominique Steiler, Penser la Paix économique : au-delà de l’harmonie sociale, les conditions de pacification de l’économie », Revue de philosophie économique »2020/2 Vol 21

Site de la chaire paix économique : https://www.paixeconomique.fr/

Penser l'imbrication des rapports de domination : l'écoféminisme

La première auteure à utiliser le terme écoféministe fut la féministe française, Françoise d’Eaubonne, à la suite de la publication de son ouvrage « Le Féminisme ou la mort » (Horay, Paris) en 1974 en relation avec les écrits de Simone de Beauvoir. Pour Françoise d’Eaubonne, l’espèce humaine ne pourra tout simplement pas survivre aux conséquences écologiques du système patriarcal. Le terme souligne que la destruction de l’environnement et l’oppression des femmes reposent sur un même système de violence et de domination.

Mais ce terme fut surtout développé par les féministes anglo-saxonnes dans le cadre de la crise écologique. Mies et Shiva (1993), Mellor (1992, 1997), Warren (1994), Plant (1989) et Salleh (1996) sont parmi les plus connues.

Les écoféministes du Sud ajoutent l’héritage postcolonial à la logique de domination des institutions patriarcales sur les femmes et l’environnement. Vandana Shiva (1989) utilise le terme de « mal-développement » pour parler du développement dans les pays du Sud. Le mal-développement engendre une uniformisation des classes, des cultures et des genres, interdisant l’harmonie dans la diversité.

Pour approfondir : 

Geneviève Pruvost,  Penser l’écoféminisme. Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire   Travail, genre et sociétés 2019/2 (n° 42)

S'extraire du monopole radical : le courant convivialiste et les approches du don

L’humanité a su accomplir des progrès techniques et scientifiques foudroyants, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? Comment les inciter à coopérer tout en leur permettant de s’opposer sans se massacrer ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ? Si elle ne sait pas répondre rapidement à cette question, l’humanité disparaîtra. Alors que toutes les conditions matérielles sont réunies pour qu’elle prospère, pour autant qu’on prenne définitivement conscience de leur finitude.  Manifeste convivialiste [1]

 

Le convivialisme est la philosophie de l’art de vivre ensemble qui appelle à s’opposer sans se massacrer, à prendre soin de la nature et des humains. Le Manifeste convivialiste énonce cinq principes et un impératif.

Pour les signataires du manifeste, ces principes sont les bases nécessaires pour bâtir un monde post-néolibéral à la hauteur des défis de notre époque.

  • Le principe de commune naturalité : les humains ne vivent pas en extériorité par rapport à une Nature dont ils devraient se rendre “maîtres et possesseurs”. Comme tous les êtres vivants, ils en font partie et sont en interdépendance avec elle. Ils ont la responsabilité d’en prendre soin. À ne pas la respecter, c’est leur survie éthique et physique qu’ils mettent en péril. Ce principe est au cœur de la pensée écologique.
  • Le principe de commune humanité : par-delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.
  • Le principe de commune socialité : les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse des rapports sociaux.
  • Le principe de légitime individuation pose que la motivation première des humains est la quête de reconnaissance. Dans le respect des deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant ses capabilités, sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres, dans la perspective d’une égale liberté.
  • Le principe d’opposition créatrice : Parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière, il est naturel que les humains puissent s’opposer. Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice. La politique bonne est donc elle qui permet aux êtres humains de se différencier en acceptant et en maîtrisant le     conflit.

Ces cinq principes doivent être tempérés et équilibrés les uns par les autres, dans le respect premier de l’impératif catégorique de lutte contre l’hubris, contre la folie des grandeurs.

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Le cap du bien vivre